ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE

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RAPPORT

au nom d’un Groupe de travail* de la Commission IV (Maladies cardiovasculaires)

Recommandations de l’Académie Nationale de Médecine concernant la prise en charge extrahospitalière de l’arrêt cardiocirculatoire

André VACHERON et Louis GUIZE**

 

RÉSUMÉ

Les arrêts cardiocirculatoires inopinés sont responsables d’environ 50 000 morts subites par an en France. Plus de la moitié d’entre eux sont liés à une fibrillation ventriculaire. Le taux de survie observé à 1 mois est actuellement inférieur à 3%. Un appel immédiat aux unités mobiles de secours, des manœuvres simples de réanimation à la portée de tous (massage cardiaque externe en particulier), une défibrillation cardiaque très précoce, devraient pouvoir faire passer ce taux de survie à plus de 30%. L’apparition des défibrillateurs externes entièrement automatiques doit permettre leur utilisation par l’ensemble de la population informée.

 

Les arrêts cardiocirculatoires inopinés sont responsables d’environ 50 000 morts subites par an en France [1, 2, 3]. Plus de la moitié d’entre eux sont liés à une fibrillation ventriculaire ou à certaines tachycardies ventriculaires avec disparition du pouls, pour autant que l’enregistrement de l’électrocardiogramme soit précoce. L’âge moyen des victimes d’arrêt cardiocirculatoire extrahospitalier est d’environ 67 ans, avec une prépondérance masculine (2 fois sur 3). Le taux de survie observé à 1 mois est inférieur à 3% [2, 3]. Le pronostic est d’autant meilleur que le sujet est plus jeune et que l’arrêt cardiocirculatoire survient dans un lieu public et devant témoin. Un appel immédiat aux unités mobiles de secours (SAMU1 et SDIS2), des manœuvres simples de réanimation à la portée de tous, une défibrillation cardiaque très précoce, devraient pouvoir faire passer ce taux de survie à plus de 30% (comme à Seattle) [4, 5].

 

Afin d’orienter la stratégie d’information de la population, de formation des personnes et le choix des lieux d’implantation des défibrillateurs automatisés externes, il est important de préciser que :

-    les arrêts cardiocirculatoires extrahospitaliers surviennent beaucoup plus souvent au domicile (75 à 80% des cas) que sur la voie publique (10% des cas), sur le lieu de travail (1 à 2% des cas) ou dans les stades, gymnases, piscines, tennis, golfs (1 à 2% des cas) ; d’autres lieux sont aussi à prendre en considération : les maisons de retraite, les cabinets médicaux et centres de soins, les pharmacies, les hôtels, restaurants et cafés, les marchés, supermarchés et grands magasins, les mairies et salles des fêtes,  les gares et aéroports, les trains et avions [2, 3] ;

-         ils surviennent devant témoin dans 70% des cas ; mais, en France, moins de 20% des témoins entreprennent des manœuvres de réanimation [2, 3] ;

-         le délai moyen d’appel aux unités mobiles de secours reste encore trop long (5 minutes) ; il s’ajoute au délai nécessaire d’arrivée des secours (en moyenne 10 minutes, le temps d’intervention étant deux fois plus long au domicile que sur la voie publique) [2, 3] ; or, les premières minutes sont essentielles et chaque minute perdue diminue les chances de survie de près de 10% [4, 5, 6] ;

-         les recommandations actuelles concernant les manœuvres immédiates de réanimation ont été simplifiées : le massage cardiaque externe (compressions thoraciques répétées 100 fois par minute) est prioritaire et doit être le plus continu possible ; la ventilation « bouche-à-bouche » est secondaire (2 insufflations pour 30 compressions cardiaques) ; si le « bouche-à-bouche » rebute les témoins, il peut même être différé [4, 5, 6] ; 

-         l’application la plus rapide possible d’un choc de défibrillation automatisée externe est recommandée : soit défibrillation semi-automatique (par les personnes formées et autorisées) [7, 8, 9], soit défibrillation entièrement automatique (d’utilisation très simple, accessible à tous) [10, 11, 12], avec reprise immédiate du massage cardiaque ;   

-         des formations courtes mais répétées ont fait la preuve de leur efficacité [13, 14].  

 

 

Pour assurer une meilleure prise en charge extrahospitalière des arrêts cardiocirculatoires, l’Académie Nationale de Médecine recommande :

 

1        La formation, indispensable, urgente et répétée, du plus grand nombre de personnes, aux premiers secours : 

1-1             accès renforcé et facilité pour les formations officielles aux premiers secours (SAMU, SDIS, Croix-Rouge Française, Diplômes d’Université tel, par exemple, celui de l’UFR des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de l’Université Paris 5,…) ;

1-2             formation obligatoire, initiale et continue, pour les médecins, pharmaciens,  paramédicaux et pour les agents de la fonction publique (Attestations de Formation aux Gestes de premiers Secours et d’Urgence) ; 

1-3             formation courte et répétée (avec support audiovisuel) pour un public élargi, avec délivrance d’une attestation, notamment :  

-         dans les centres de soins,

-         dans les écoles, collèges et universités,

-         lors de la journée citoyenne,

-         dans les centres sportifs,

-         dans les lieux publics,

-         pour les proches des sujets à risque,

-         lors de la préparation à l’examen du permis de conduire et des stages de récupération des « points ».

                                        

2        Une grande diffusion des défibrillateurs automatisés externes (avec maintenance périodique obligatoire des appareils), préférentiellement défibrillateurs entièrement automatiques, reliés à un appel au SAMU et facilement accessibles, notamment dans :

-         les lieux publics,

-         les lieux de forte densité résidentielle,

-         les lieux de travail,

-         les centres commerciaux,

-         les pharmacies, 

-         les centres sportifs,

-         les aéroports et les gares, 

-         les moyens de transport (avions, bateaux, trains). 

 

3        L’information et l’éducation du grand public, très largement diffusées et répétées, utilisant le maximum de supports, écrits (affiches, cartes…) et audiovisuels (principalement la télévision) :

-         avec un message simple : « appeler,  masser, défibriller » ;

-         et des démonstrations schématiques :

o       reconnaissance rapide de l’arrêt cardiocirculatoire, 

o       appel immédiat aux unités mobiles (SAMU et SDIS : 15, 18, 112),

o       massage cardiaque externe le plus continu possible,

o       utilisation aussi précoce que possible du défibrillateur automatique.

 

4        L’élargissement des autorisations existantes pour l’utilisation du défibrillateur automatique, permettant l’emploi des appareils par le grand public :

 

4-1      les autorisations retenues dans le projet de décret relatif à l’utilisation des défibrillateurs automatisés externes par des personnes non médecins (modification de l’Article R. 6311-15 du Code de la Santé Publique), notamment : 

-         les personnels administratifs et techniques exerçant au sein d’un établissement de santé ou d’une structure médico-sociale et les professionnels de santé inscrits dans la quatrième partie du présent code titulaires de l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence, définie par arrêté du ministre chargé de la santé ; 

-         les personnels des armées ayant reçu une formation délivrée dans les conditions définies par arrêté du ministre chargé de la défense ;

-         les personnels des services publics de secours ou des associations agréées de sécurité civile ayant reçu une formation dans le cadre de leur formation initiale ou continue aux emplois considérés, définie par arrêté du ministre chargé de la sécurité civile.

 

4-2             toute personne ayant connaissance de l’utilisation du défibrillateur entièrement automatique (acte citoyen), faute de quoi la diffusion de ces appareils risque d’être insuffisamment opérante [15].  Ce serait comme si une personne témoin d’un incendie ne pouvait pas utiliser l’extincteur disponible faute de formation agréée.

 

5        L’évaluation des stratégies, sur plusieurs années, par le SAMU et les centres hospitaliers en coordination avec les autres professionnels, avec mise en place d’un registre national :

-         évaluation de l’information et de la formation des personnes, 

-         pratique de la réanimation rudimentaire par les témoins,

-         diffusion et utilisation des défibrillateurs automatiques,

-         délais et modalités des diverses interventions extrahospitalières et hospitalières,

-         efficacité de la prise en charge globale des arrêts cardiocirculatoires (chaîne de survie) [16].

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

[1] Nicolas G., Lecomte D. – La mort subite d’origine cardiaque. Epidémiologie. Bull. Acad. Natle Méd., 1999, 183, 1573-1580.

[2] Muntean C., Pavin D., Mabo P., Kerharo J.Y., Boulmier D., Mallédant Y., Daubert J.C. - Arrêt cardiaque extrahospitalier: prise en charge initiale puis en milieu cardiologique. Arch. Mal. Cœur, 2005, 98, 87-94.

[3] Pochmalicki G., Le Tarnec J.Y., Franchi J.P., Empana J.P., Genest M., Vincent B., Grippon P., Foucher R., Jouven X., Lardoux H., Guize L. - Prise en charge de la mort subite dans un département semi rural, la Seine et Marne: Etude DEFI 77. Arch. Mal. Cœur, 2007, 100 (sous presse)

 

[4] International Liaison Committee on Resuscitation. - 2005 International Consensus on Cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care Science with Treatment Recommendations. Circulation, 2005, 112, III-1-III-136.

[5] ACC/AHA/ESC 2006 Guidelines for Management of Patients with Ventricular Arrhythmias and the Prevention of Sudden Cardiac Death. Eur. Heart J., 2006, 27, 2099-2140.

[6] Recommandations formalisées d’experts (coordonnateur : P Carli – Société Française d’Anesthésie et de Réanimation, Société de Réanimation de Langue Française, Conseil Français de Réanimation Cardiopulmonaire) pour la prise en charge de l’arrêt cardiaque. Ann. Fr. Anesth. Réa., 2007, (sous presse)              

[7] Cara M. – Rapport : Sur l’utilisation des défibrillateurs semi-automatiques par des non-médecins. Bull. Acad. Natle Méd., 1993, 177, 243-245.

[8] Décret n° 98-239 du 27 mars 1998 fixant les catégories de personnes non médecins habilitées à utiliser un défibrillateur semi-automatique. Journal Officiel de la République Française n° 79 du 3 avril 1998 page 5154.

[9] Décret n° 2000-648 du 3 juillet 2000 modifiant le décret no 98-239 du 27 mars 1998 fixant les catégories de personnes non médecins habilitées à utiliser un défibrillateur semi-automatique. Journal Officiel de la République Française n° 159 du 11 juillet 2000 page 10498.

[10] PAD Trial Investigators. - Public-access defibrillation and survival after out-of-hospital cardiac arrest. N. Engl. J. Med., 2004, 351, 637-646.

[11] Rifler J.P. - Réanimation cardiopulmonaire : c’est l’accès au défibrillateur qui compte. L’expérience de Montbard. Responsabilité, 2006, 6, 23.

[12] Rifler J.P. - DEA pour le public, DSA pour les secouristes. Rev. SAMU, 2006, 28 n° spécial, 261-263. 

[13] Roppolo L.P., Ohman K., Pepe P.P., Idris A.H. - The Effectiveness of a short Cardiopulmonary Resuscitation Course for Laypersons. Circulation, 2005, 112 (Suppl II), II-325.

[14] Idris A.H., Roppolo L.P., Kulkami H., Ohman K., Pepe P.P. - A Five-Minute Training Program for Automated External Defibrillator Use is More Effective Than a 4-Hour Course. Circulation, 2005, 112 (Suppl II), II-326.

[15] Défibrillateur cardiaque. Question d’actualité au gouvernement n° 0750G de M. Alex Türk (Nord - NI). Journal Officiel du Sénat du 17 novembre 2006  page 8260.

[16] Petit P. – Mort subite d’origine cardiaque : la chaîne de survie en France. Bull. Acad. Natle Méd., 1999, 183, 1581-1594.

 

Pour copie certifiée conforme,

                                                                                              Le Secrétaire perpétuel,

 

 

 

                                                                                              Professeur Jacques-Louis BINET

 



* Constitué de :    Membres de l’Académie : MM. BOUNHOURE, CARA, DREUX, GUIZE, VACHERON

(Président).

Membres extérieurs : Mme CALLAIS, MM. ALIOT, CARLI, JOUVEN, RIFLER.

** Membres de l’Académie nationale de médecine

1 Service d’Aide Médicale Urgente

2 Service Départemental d’Incendie et de Secours